PRODUITS DE BASE

PRODUITS DE BASE
PRODUITS DE BASE

Les produits de base représentent un peu moins de la moitié de la valeur du commerce international. S’ils furent au XIXe et au début du XXe siècle caractéristiques de l’échange colonial, ils sont aujourd’hui surtout marqués par la prédominance des pays du Nord. En ce sens, et bien que leur dimension Nord-Sud reste encore essentielle dans des enceintes comme la C.N.U.C.E.D., ils sont surtout représentatifs des rapports de force au sein du système économique mondial. En particulier, l’instabilité chronique des marchés des produits de base (et les moyens trouvés pour la gérer comme les marchés à terme) apparaît comme un phénomène précurseur de l’instabilité généralisée des systèmes économiques et financiers depuis 1974.

Les mots de produits de base sont en eux-mêmes assez vagues, et l’on emploie indifféremment les termes de produits de base, matières premières, produits primaires ou même l’anglo-saxon commodities (mais l’on trouve aussi l’expression primary commodities ). La logique voudrait que l’on entende par produit de base, ou matière première, un produit au stade brut de la production, que celle-ci soit agricole ou minière. Mais il est évident que de nombreux produits subissent une première transformation pratiquement sur le lieu de leur production: de la betterave ou de la canne au sucre, du caoutchouc au latex, ou plus simplement des cabosses aux fèves de cacao, des minerais aux métaux...

En 1948, la Charte de La Havane des Nations unies définissait ainsi le produit de base (qui est d’ailleurs le seul terme français reconnu à l’O.N.U.): «Tout produit de l’agriculture, des forêts, de la pêche et tout minéral, que ce produit soit sous sa forme naturelle ou qu’il ait subi la transformation qu’exige communément la vente en quantités importantes sur le marché international.»

Les produits ainsi concernés sont:

– des produits agricoles: produits alimentaires essentiels (céréales, oléagineux, produits animaux); boissons et fruits tropicaux (café, cacao, thé, bananes); matières premières agricoles (coton, laine, caoutchouc);

– des produits miniers: minerais et métaux (fer et non ferreux); produits non métalliques (phosphates, potasse); combustibles (pétrole, gaz, charbon, etc.).

L’importance relative de ces diverses catégories de produits est très variable. Globalement, en 1980, les produits de base représentaient 45 p. 100 en valeur du commerce international, les combustibles comptant pour 24 p. 100, les produits agricoles pour 15 p. 100 et les minerais et métaux pour 5 p. 100 (mais curieusement le G.A.T.T. ne classe ni le fer ni l’acier parmi les produits de base). Ainsi au sein de l’ensemble «produits de base», les combustibles représentent 53 p. 100 des échanges, la seule part du pétrole étant de 44,5 p. 100. Il est dès lors certain que l’importance du pétrole en fait un produit très particulier dont le rôle économique et géopolitique est sans commune mesure avec les autres produits de base et dont le fonctionnement et les structures du marché restent encore spécifiques (bien qu’en ce domaine le changement soit très rapide). Dans la mesure où le lecteur trouvera par ailleurs un exposé très fourni sur l’économie pétrolière, le présent article ne traitera pas a priori des produits énergétiques tout en mentionnant, lorsque cela sera nécessaire, les éventuels points de convergence structurels.

1. Production, consommation et échanges

Les mutations de la production et de la consommation

Stimulée par les progrès techniques, par l’augmentation de la demande due à la croissance mondiale, la production des produits de base a connu un extraordinaire développement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour les produits agricoles, le taux de croissance de la production mondiale n’a jamais été inférieur, depuis 1938, à 2 p. 100 par an (2,7 p. 100 pour les années cinquante et soixante). La croissance de la production minière a été encore plus impressionnante, se maintenant au-dessus de 5 p. 100 par an de 1950 à 1973. Depuis, elle se situe bien en dessous de 2 p. 100 par an. Ainsi, la production mondiale de céréales a triplé depuis les premières années de l’après-guerre, passant de 598 millions de t (moyenne 1948/49 à 1952/53) à 1 663 millions de t en 1981; de la même manière, la production de sucre est passée de 39 à 92 millions de t, celle de viandes de 27 à 110, celle de café de 2,2 à 5,8. La croissance a été aussi spectaculaire pour certains métaux correspondant aux technologies nouvelles: d’un milliard de t en 1940, l’extraction de bauxite est passée à 6,9 milliards en 1960 et 93 milliards en 1980! En revanche, des produits plus «classiques» ont vu leur production stagner: étain, plomb, notamment.

Pour la première fois cependant, cette croissance apparaît limitée: pour les produits agricoles, alors qu’il y a peu de choses à espérer des augmentations de surface cultivée, la question fondamentale reste celle des rendements dont l’importance est liée aux apports énergétiques: une limitation de la consommation énergétique de l’agriculture entraîne donc une baisse des productions agricoles (en limitant l’utilisation d’engrais, de produits phytosanitaires, de l’irrigation, etc.). Pour la production minière se pose le vieux problème de l’épuisement des ressources non renouvelables; après le cri d’alarme du Club de Rome (rapport Meadows, «Halte à la croissance», en 1972), les experts sont revenus à des hypothèses plus raisonnables (rapport Interfutures de l’O.C.D.E. en 1981): compte tenu des nouveaux gisements mis en valeur et de l’évolution de la consommation-substitution, il semble que les réserves connues devraient largement suffire pour couvrir la première moitié du XXIe siècle. Ceci étant, le cri d’avertissement du Club de Rome en 1972 a été nécessaire à la prise de conscience d’un problème et a accéléré la recherche de solutions alternatives. Parmi les plus prometteuses, signalons l’exploitation des nodules polymétalliques du fond des océans dont la mise en œuvre commerciale semble encore assez lointaine.

Mais au-delà de cette croissance physique de la production, un certain nombre de modifications structurelles sont intervenues. Il faut d’abord remarquer que la part des pays développés s’est encore renforcée: 70 p. 100 de la production minière, plus de la moitié de la production agricole. Au stade de la mine, comme pour la plantation, la pénétration du capital étranger liée bien souvent à des situations coloniales a pratiquement cessé, l’État prenant en main un peu partout, au travers de nationalisations ou de réformes agraires, les structures de production. Les grandes firmes productrices, en général intégrées verticalement, ont seulement survécu dans le domaine minier (notamment pour l’aluminium avec Alcoa, Alcan, Reynolds, P.U.K., Alusuisse) et pour quelques produits agricoles comme les bananes. De plus en plus, les grands projets miniers et agricoles associent d’ailleurs dans leur capital des structures publiques des États d’accueil, et des financements multinationaux, tandis que des groupes internationaux apportent leur expérience technologique.

Dans de nombreux cas, la première transformation des produits doit être réalisée sur les lieux de production: c’est le cas des produits agricoles périssables (canne ou betterave à sucre par exemple) mais aussi de nombreux minerais dont on s’efforce, par un premier traitement, de limiter l’aspect pondéreux. Une des principales revendications des pays producteurs du Tiers Monde est de participer à la valorisation de leurs matières premières. C’est pourquoi on assiste à un lent mouvement de relocalisation sinon du processus complet, au moins de la première transformation des produits de base, mouvement qui se heurte d’ailleurs à de nombreux blocages technologiques, financiers et même politiques; à ce niveau, le principal obstacle paraît être l’existence de capacités de transformation dans les pays consommateurs ou dans certains «pays ateliers». Cependant certaines évolutions paraissent irréversibles comme la disparition du raffinage sucrier dans les zones de consommation ou bien la généralisation de l’affinage des minerais au niveau de la mine ou de la production d’engrais simples à partir de phosphates locaux.

La consommation de produits de base est conditionnée à la fois par les besoins et les goûts de l’être humain, et par l’évolution technologique. Cette dernière a été particulièrement rapide dans les dernières années en ce qui concerne les possibilités de substitution et de permutation entre produits: à l’heure actuelle, les produits non substituables sont bien rares. Dans le domaine agricole, l’essor des biotechnologies, l’extraordinaire versatilité de produits comme le soja, l’évolution de l’industrie alimentaire (au travers des phénomènes de marque), sont tels que plus aucun produit n’est véritablement sûr de son marché. Il en est de même pour les produits miniers, à quelques exceptions près, toutefois, comme les phosphates, les platinoïdes et quelques autres métaux rares. Au-delà, on assiste à des mutations irréversibles dans l’utilisation même des métaux: on passe de l’âge du cuivre à celui de l’aluminium. Pour l’étain, alors que la traditionnelle utilisation dans le fer-blanc paraît condamnée, ce vieux métal connaît une seconde jeunesse avec les soudures utilisées dans l’industrie électronique.

L’explosion des échanges

Pour la plupart des produits de base, la croissance des échanges a été largement supérieure à celle de la production, bien que leur part relative reste encore souvent très marginale. De 1963 à 1977, la valeur du commerce international des produits primaires (appellation G.A.T.T.) est passée de 71 à 452 milliards de dollars alors que les prix à l’exportation passaient (pour une base 100 en 1970) de 92 à 337. En volume, pour une base 100 en 1960, on est passé vingt ans plus tard à 198 pour les produits agricoles, 186 pour les minéraux (combustibles compris). Cette croissance a bien entendu été très variable suivant les produits: parmi les produits agricoles, l’ensemble céréales-oléagineux-viandes caractéristique des pays développés s’est particulièrement illustré: de 1954/55 à 1980, on passe de 32 à 99 millions de t pour le blé, de 19 à 97 millions de t pour les céréales secondaires (pour l’alimentation animale), de 1,7 à 8,1 millions de t pour les viandes (toutes espèces confondues). Par contre, les «vieux» produits caractéristiques de l’échange colonial comme le café, le cacao, le coton et même le sucre ont connu une croissance moindre. Parmi les produits miniers, on retrouve la même différence entre aluminium ou phosphates d’une part, plomb, zinc ou étain de l’autre.

En valeur comme en volume, les échanges de produits de base sont dominés par le pétrole. En valeur, on trouve ensuite l’ensemble des céréales, le café, le cuivre, le sucre, alors qu’en volume il faut surtout citer, outre les «grains» le minerai de fer, le charbon, les phosphates, la bauxite.

Mais il faut surtout distinguer entre produits «extravertis» (dont l’essentiel de la production est exportée) et «intravertis» (pour lesquels les échanges restent marginaux):

– parmi les «extravertis», citons le café, le cacao, le jute, certains métaux comme l’étain, le nickel, le platine,

– mais la liste des «intravertis» est beaucoup plus longue, allant de l’ensemble des céréales (13 p. 100 de la production échangée, mais 3 p. 100 seulement pour le riz, 21 p. 100 pour le blé) à l’ensemble des produits forestiers (4 p. 100), aux produits laitiers (6 p. 100), au thé (15 p. 100), au cuivre (17 à 32 p. 100 suivant son stade de transformation), à l’aluminium (23 à 29 p. 100), au sucre (27 p. 100). Il est évident que le comportement des marchés internationaux sera différent suivant que ceux-ci couvrent l’essentiel de la production mondiale ou bien seulement une partie marginale: l’incidence de la notion de prix mondial sera elle aussi assez variable.

En 1977-1979, les pays en voie de développement représentaient 45,6 p. 100 des exportations mondiales de produits de base. Les pays développés à économie de marché représentaient à peu près l’essentiel du reste, la part des pays à économie centralement planifiée restant marginale (et limitée à quelques produits). Les pays en voie de développement ne sont véritablement prédominants que pour les produits tropicaux et certains métaux comme l’étain, la bauxite et le manganèse. Leur part diminue pour le sucre (63 p. 100), le coton (47 p. 100), l’arachide même (38 p. 100). Les pays développés se taillent la part du lion pour les céréales et les produits animaux mais aussi pour l’aluminium, le plomb, le zinc et la plupart des métaux précieux (avec une place prépondérante de l’Afrique du Sud).

Les possibilités de cartellisation de l’offre «à la manière de l’O.P.E.P.» sont assez limitées. Certes, dans de nombreux cas, celle-ci est circonscrite à un petit nombre de pays: 4 pays réalisent 71 p. 100 des exportations de cacao, 79 p. 100 des exportations d’étain, 3 pays représentent 88 p. 100 des exportations de caoutchouc. Mais, parmi ces pays, nombreux sont ceux qui dépendent de l’exportation d’un ou de plusieurs produits pour l’ensemble de leur développement économique: ainsi, le café représente 63 p. 100 des recettes officielles à l’exportation de la Colombie, 88 p. 100 pour le Burundi, 72 p. 100 pour l’Éthiopie, 78 p. 100 pour le Ruanda. Pour le sucre, la dépendance de Maurice est de 65 p. 100, celle de Fidji de 55 p. 100 (et nous ne disposons pas du chiffre de Cuba). Il en est de même pour le cuivre, avec la Zambie, le Zaïre et aussi la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Loin d’une maîtrise éventuelle des marchés internationaux, il faut surtout souligner l’extrême dépendance de ces pays (et la liste n’est pas limitative) vis-à-vis des fluctuations souvent erratiques des marchés. Il n’y a que pour les phosphates que l’on puisse vraiment parler de contrôle éventuel des exportateurs sur un produit non substituable: à terme, la position du Maroc sur ce marché pourra être déterminante.

Il est assez difficile de caractériser de manière générale les flux de produits de base. Deux axes sont pourtant essentiels: axe Nord-Sud correspondant aux échanges traditionnels de l’ère coloniale et, de plus en plus, des courants Nord-Nord et Nord-Est illustrant la prédominance nouvelle des pays développés et des pays socialistes. Mais, la plupart du temps, la continuité historique a disparu (hormis quelques cas comme le sucre avec l’accord Cuba-C.A.E.M. et le Protocole sucre du Pacte de Lomé): ces flux sont susceptibles de modifications radicales au hasard de la politique: ainsi en 1980 l’embargo américain sur les céréales à destination de l’U.R.S.S. a totalement modifié les courants d’échange qui existaient alors. Seules les contraintes techniques de la transformation industrielle limitent encore cette déstabilisation des échanges.

Celle-ci est aussi une conséquence des modifications structurelles intervenues au niveau des marchés. Deux éléments apparaissent fondamentaux à ce niveau: d’une part la présence massive de l’État au sein des structures d’offre et de demande sur les marchés internationaux, d’autre part la concentration toujours plus grande des échanges par le canal d’entreprises de négoce international. Que ce soit au travers d’offices, de caisses de stabilisation, d’instituts, de marketing boards ..., le rôle de l’État est, peu à peu, devenu essentiel dans le contrôle et l’orientation des exportations et des importations de produits de base. De plus en plus, ce sont des organismes publics qui vendent ou qui achètent, ou au moins qui isolent les marchés nationaux des fluctuations du marché mondial. Sur ce marché mondial, l’intermédiaire privilégié est désormais le négociant international. Depuis une vingtaine d’années, on a assisté, en effet, à une concentration des opérations du commerce des produits de base autour d’un petit nombre de grandes entreprises: ainsi, cinq entreprises gèrent plus de 80 p. 100 des échanges mondiaux de grains, trois entreprises 85 p. 100 de ceux de cacao... Ces entreprises sont devenues des pôles essentiels tant au niveau des filières industrielles que des systèmes financiers internationaux: Cargill, Philip Brothers, Sucres et Denrées... sont des rouages fondamentaux du fonctionnement des marchés internationaux de produits de base. Ils s’appuient d’ailleurs en général sur un autre outil fondamental: le marché à terme.

2. Le fonctionnement des marchés de produits de base

De tous les mécanismes de mise en marché de produits de base, les marchés à terme ont connu depuis une vingtaine d’années la croissance la plus impressionnante. Pour les principaux produits de l’échange international, les marchés de Chicago, New York ou Londres sont le baromètre incontesté des fluctuations des prix. Ceci n’empêche pas d’autres formes de marché de continuer à exister: ventes aux enchères (thé, laine), négociations annuelles directes entre producteurs et consommateurs (fer, phosphates, manganèse) et surtout, pour les métaux, fixation unilatérale d’un prix producteur (aluminium, molybdène, cobalt, zinc...). Mais notamment le système du prix producteur autrefois dominant pour les métaux et certains produits agricoles est complètement remis en cause par le dynamisme des marchés à terme.

Par leur importance au niveau des circuits financiers internationaux, les marchés à terme dépassent largement le seul domaine des échanges de produits de base. Ils trouvent pourtant leur origine dans les échanges de produits agricoles en Amérique du Nord et surtout autour de Chicago à la fin du XIXe siècle. Jusque-là, il était possible d’échanger des marchandises pour livraison immédiate, puis pour livraison différée (le temps du transport, par exemple). Peu à peu, s’établit l’usage de rédiger des contrats standards précisant la qualité, la quantité et le lieu de livraison de la marchandise. Bientôt, on prit l’habitude de s’échanger ces contrats, ces papiers. Le marché à terme était né (vers 1865 à Chicago).

Un marché à terme est une «institution financière» permettant à un opérateur d’acheter ou de vendre à un moment donné un contrat (du «papier») représentant un lot d’une marchandise bien déterminée. Bien qu’il soit toujours possible d’opérer par la suite une livraison physique, dans la quasi-totalité des cas, la transaction sera dénouée par une opération inverse (vente ou achat), l’opérateur encaissant ou réglant la différence des cours.

Les opérateurs sur les marchés à terme sont de deux natures, ce qui explique d’ailleurs leurs fonctions différentes:

– les professionnels, qui cherchent à se protéger du risque de fluctuation des cours d’une marchandise en effectuant des arbitrages sur couverture d’actif (en opérant sur le marché à terme l’opération inverse qu’ils ont réalisée en physique de manière à être «couverts»). Il peut s’agir de transformateurs, de négociants, en fait de toute entité qui, à un moment précis, contrôle une marchandise «au risque du marché». Pour eux, le marché à terme est un système d’assurance antispéculatif.

– les spéculateurs, qui viennent rechercher une différence entre un cours d’achat et un cours de vente (ou l’inverse) et dont les opérations sont strictement limitées «au papier». Le spéculateur achètera s’il estime que les cours doivent monter. Il vendra dans le cas inverse. Son espoir est de maximiser ses gains lorsqu’il dénouera son opération (par une vente ou un rachat). La présence de spéculateurs est paradoxalement essentielle pour la bonne marche d’un marché à terme. C’est, en effet, la spéculation qui donne à un marché son ampleur, sa liquidité, qui lui permet de ne pas réagir de manière excessive à tel ou tel gros arbitrage physique. La spéculation sur les marchés à terme (au départ de matières premières, mais maintenant de plus en plus d’instruments financiers) est d’ailleurs fort répandue, notamment aux États-Unis où elle touche de nombreux petits porteurs.

Un marché à terme cote en général un lot bien déterminé d’un produit assez fongible (ce qui élimine d’ailleurs, comme on le verra, certains produits ou services comme le fret maritime): 5 000 boisseaux de maïs Yellow Corn numéro deux, par exemple, au Chicago Board of Trade. La cotation est faite sur plusieurs échéances s’étageant du rapproché jusqu’à dix-huit mois: les opérations s’y font par le biais de commissaires agréés (à Paris) ou de brokers (dans le monde anglo-saxon): les opérateurs n’ont à verser au départ qu’une garantie (deposit ) en général de 10 p. 100 (mais susceptible de variations) de la valeur du contrat qu’ils ont acheté ou vendu. En cas de perte, cette garantie doit être complétée (appel de marge). Sauf dans le cas du London Metal Exchange, le marché est géré par une caisse de compensation (clearing ) qui enregistre pertes et gains à la fin de chaque journée. Même si parfois certaines affaires défrayent la chronique (sucre à Paris en 1974, argent-métal à New York en 1980), les marchés à terme sont extrêmement rigoureux dans leur gestion et sont étroitement contrôlés par des autorités de tutelle comme la Commodity Futures Trading Commission (C.F.T.C.) aux États-Unis ou la Banque d’Angleterre à Londres. Dans la mesure du possible, les manœuvres d’accaparement (corner ) consistant pour un opérateur à tenir une position dominante sur un terme précis y sont interdites, mais les exceptions ne sont pas rares.

Le principe de l’existence des marchés à terme n’est pratiquement plus remis en cause. Au contraire, ceux-ci apparaissent comme un système de sécurité indispensable sur les marchés de matières premières, dans la mesure où ils apportent une publicité permanente des cours et des cotations. Le reproche classique qui leur est fait d’accentuer l’instabilité des marchés ne résiste pas à l’analyse: ils sont, en fait, beaucoup plus le fruit de cette instabilité, et leur croissance extraordinaire des dix dernières années s’explique d’abord par la montée générale des tensions au niveau mondial.

Les principaux marchés à terme sont ceux de Chicago, Londres et New York. Des marchés d’importance secondaire existent à Paris, Winnipeg, Kansas City, Hong Kong, Sydney et La Nouvelle-Orléans. Certains pays du Tiers Monde souhaitent d’ailleurs créer aussi des marchés à terme: c’est particulièrement le cas de la Malaisie à Kuala Lumpur.

Les produits dont la cotation internationale se fait sur un marché à terme d’influence reconnue et incontestée sont:

– le blé, le maïs et la graine, l’huile et le tourteau de soja, au Chicago Board of Trade;

– le café et le cacao, à Londres et à New York;

– le sucre, à Londres et à New York pour le sucre brut, à Paris pour le sucre blanc;

– les grands métaux du London Metal Exchange: cuivre, plomb, zinc, et étain.

Certains produits (aluminium, nickel, laine, caoutchouc...) font aussi l’objet de cotations à terme, mais il s’agit de marchés trop étroits et par là peu représentatifs. Par contre, de nombreux produits subissent indirectement l’influence d’un marché à terme: l’ensemble des oléagineux autour du marché de l’huile de soja par exemple.

3. L’évolution des prix de produits de base

Il est assez difficile de faire exactement la part des différentes tendances des marchés, de distinguer ce qui est propre à un produit ou seulement conjoncturel.

Les grandes fluctuations

Sur le long terme, de nombreux analystes s’accordent pour estimer que l’évolution des marchés de produits de base suit les mouvements longs du cycle de Kondratieff.

On aurait ainsi quatre grandes «époques» (1890-1920, 1920-1950, 1950-1970, 1970-?) se caractérisant toutes par une brève période de tension suivie d’une longue période de stagnation, voire de détoriation de termes de l’échange, qui se terminerait par une nouvelle tension faisant remonter les cours à un niveau légèrement supérieur au point haut précédent: + 25 à 40 p. 100 entre 1875/1900 et 1924/26, + 15 à 25 p. 100 entre 1924/26 et 1950/52, + 15 à 20 p. 100 entre 1950/51 et 1972/74. Les points de crise correspondraient à la crise des années 1890 à celle du début des années vingt, à celle de la guerre de Corée et enfin à la crise de 1974.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, cette tendance a été particulièrement vérifiée. Après les immédiates années d’après-guerre marquées par la réouverture des circuits commerciaux, la crise issue des tensions dues à la guerre de Corée provoqua de vives hausses des cours qui se maintinrent durant une bonne partie des années cinquante (stimulés pour les minerais et métaux par les achats du stock stratégique américain). Malgré de courtes tensions conjoncturelles, les marchés se déprimèrent durant toutes les années soixante pour atteindre vers 1968/70 leurs niveaux les plus bas.

La reprise fut très vive, dès 1972 en fait, mais surtout en 1974 dans le sillage du pétrole. Entre 1972 et 1977, à peu près tous les produits de base furent soumis à des phénomènes sans précédent de hausses en prix courants, ramenant en général les termes de l’échange au niveau de 1950. Partout la chute des cours fut anormalement rapide, à peine enrayée pour certains produits par une brève reprise en 1979/80. Notre analyse se termine en 1982/83 alors que les marchés des produits de base connaissent une crise que certains n’hésitent pas à comparer à la grande crise des années trente.

L’instabilité

Mais ce qui caractérise peut-être le plus les marchés des produits de base c’est leur instabilité et l’amplitude de leurs fluctuations à court terme. Ce phénomène est lié à la présence, sur les marchés, d’intérêts spéculatifs (mais les marchés à terme ne sont pas là des facteurs d’amplification), aux variations parfois brusques de l’offre ou de la demande sur des marchés souvent marginaux, mais surtout, depuis 1974, à l’instabilité généralisée des systèmes économiques internationaux.

Les efforts entrepris depuis des décennies pour stabiliser ces marchés n’en apparaissent dès lors que plus dérisoires.

4. Négociations et conflits

Confrontés aux fluctuations des marchés jugées bien souvent aberrantes de leur strict point de vue, producteurs et consommateurs ont oscillé entre des recherches de solutions négociées et des affrontements directs, à moins que conflits et stratégies de dominations ne l’emportent.

Les négociations internationales

La stabilisation des cours des produits de base (ou au moins leur réévaluation) grâce à des accords négociés est un des plus vieux rêves de la diplomatie internationale. Assez souvent, ce fut le fait de manière unilatérale de producteurs cherchant à relever les prix dans des périodes déprimées (fixation de quotas sur le marché, refus de vendre au-dessous d’un certain cours). Mais on ne peut véritablement parler d’accord international que si producteurs et consommateurs y sont associés. Les accords de ce type sont en général assez récents et ont bénéficié d’une dynamique nouvelle avec la négociation du Programme intégré des produits de base décidé à la IVe C.N.U.C.E.D. de Nairobi, en 1976.

Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, la Charte de La Havane (1948) avait établi les grandes lignes d’accords de stabilisation des marchés des produits de base. Mais les réalisations furent minces. Alors que les accords signés pour le blé (à partir de 1949), le sucre (1953), le café (1962) et le cacao (1972) montraient peu d’efficacité, seul l’accord de l’étain (1956), basé sur un stock régulateur, parvint à contenir le marché à la baisse (mais pas à la hausse) jusqu’en 1976.

L’idée de traiter de manière globale les produits de base n’était pas nouvelle en soi: on en avait parlé à Bretton Woods, puis en 1956 le G.A.T.T. avait essayé de négocier un cadre général pour les accords de produits de base. Mais rien de cela n’avait abouti lorsque le secrétaire général de la C.N.U.C.E.D. présenta en 1975 un projet de «programme intégré». Celui-ci comprenait cinq volets: une série de stocks internationaux par produit, un fonds commun pour les financer, des engagements commerciaux multilatéraux, des systèmes de financement compensatoires et le développement de la transformation dans les pays producteurs. En fait, c’est l’aspect stock et fonds commun qui marqua le plus la résolution 93 (IV) de la conférence de Nairobi en 1976. Celle-ci fut adoptée par les «77» (pays en développement), mais aussi par le groupe B (les pays développés), avec des réserves de la part des États-Unis, du Japon et de certains pays européens. Toute l’ambiguïté des négociations internationales qui vont suivre tenait dans le fait suivant: pour les pays en développement, il s’agissait de construire un instrument de solidarité du Sud contre le Nord; quant aux pays riches, à quelques exceptions près (Scandivanie, Pays-Bas), leur objectif était de minimiser autant que possible, voire d’annuler, les conséquences de cette résolution.

Le programme de Nairobi était ambitieux:

– un fonds commun de stabilisation doté substantiellement (on parlait à l’époque de 6 milliards de dollars),

– 18 accords-produits, tous basés sur le seul principe du stock régulateur et concernant les produits les plus essentiels du Tiers Monde,

– un certain nombre de mesures concernant l’accès au marché, la transformation sur place, etc.

Le calendrier était encore plus ambitieux puisque tout devait être réglé pour la fin 1978.

Les contradictions entre signataires de la résolution de Nairobi, l’échec général du dialogue Nord-Sud, une remise en cause aussi de la technique même du stockage régulateur, sont les principales raisons de l’échec constaté dans la mise en place des mécanismes prévus à Nairobi:

– après de nombreux échecs (1977), un accord portant sur la création d’un fonds commun a été signé en juin 1980. Mais d’une part sa dotation (400 millions de dollars pour l’aspect stabilisation) reste trop faible par rapport aux besoins et, d’autre part, début 1983, il n’avait toujours pas recueilli suffisamment de signatures de ratification pour entrer en vigueur;

– des groupes de travail et conférences de négociation concernant les 18 produits, il n’est jusque-là sorti qu’un accord avec stock régulateur (celui du caoutchouc, en 1979), un accord sans clause économique (jute, en octobre 1982) et quelques potentialités à court terme (le thé, avec un système de contingents d’exportation, les bois tropicaux, mais sans clause économique). Par contre, rien n’est sorti des 18 réunions sur le cuivre (la dernière en février 1980), des négociations sur le coton...

La situation n’a guère été plus brillante pour les accords déjà existants: en 1977, des négociations échouèrent pour une réactivation de l’accord international sur le blé. L’accord sucre de 1977 resta basé sur un système de quotas (le stock prévu ne put jamais être constitué) et n’eut aucune efficacité. Le stock de l’accord de l’étain ne fonctionna pas à partir de 1976; en 1982, un nouvel accord entra en vigueur (sans les États-Unis en plein reaganisme) et le stock a pu reprendre ses opérations fin 1982.

Renégocié en 1976, l’accord cacao a pu fonctionner à partir de 1980. Son stock, doté initialement de 250 millions de dollars, n’était cependant pas suffisant pour enrayer une crise de surproduction mondiale. Paradoxalement, en 1983, seul l’accord café, basé sur un système de quotas, a donné des résultats satisfaisants. Mais, au-delà, on assiste à une véritable remise en cause de l’idée même de stabilisation des marchés par des économistes néo-libéraux dont l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan a fait relever la tête (cette remise en cause s’adressant d’ailleurs en général au rôle stabilisateur de l’État sur les marchés et visant, entre autres, la politique agricole commune de la C.E.E.).Pour répondre, cependant, aux problèmes des pays en voie de développement, on avance de plus en plus l’idée d’une stabilisation «compensatrice» intervenant après le marché.

À ce niveau, deux systèmes existent déjà. D’une part la facilité de financement compensatoire du F.M.I., assez bien dotée (1,6 milliards de D.T.S. pour 1981 et 1982), mais relativement limitée par ses conditions d’attribution (montant du prêt plafonné à 100 p. 100 de la quote-part des pays au F.M.I.), est loin de faire l’unanimité des pays du Tiers Monde. Une proposition d’élargir cette facilité et même d’en créer une autre dans le cadre de la C.N.U.C.E.D. a été rejetée lors de la conférence de Belgrade de juin 1983. D’autre part le Stabex, géré par la C.E.E. au profit des pays à économie centralement planifiée, correspond mieux aux besoins des pays en voie de développement, mais dispose d’une enveloppe limitée: en 1982, 42,8 p. 100 seulement des transferts ont pu être réalisés (en dehors du cas particulier du Protocole sucre).

L’échec de la VIe C.N.U.C.E.D. à Belgrade en juin 1983 sonne pratiquement le glas des vastes plans d’ensemble de stabilisation des marchés des produits de base (même si, comme on peut quand même s’y attendre, le fonds commun est ratifié pour 1984). Devant cette carence, de nombreux pays producteurs ont choisi la voie de l’action unilatérale.

Les conflits

On peut en fait distinguer deux types de stratégies chez les producteurs:

– le cartel offensif cherchant à modifier les règles mêmes du marché par l’imposition brutale de nouveaux prix ;

– le cartel défensif cherchant à maintenir les termes de l’échange (en général face à une détérioration du prix mondial).

L’exemple même du cartel offensif est celui de l’O.P.E.P. pour le pétrole. Mais rares sont les produits de base qui se prêtent à de telles manœuvres: les seuls exemples en sont les phosphates (lorsque, de 1974 à 1976, l’Office chérifien des phosphates fit passer les prix de 13,8 dollars la tonne à 67 dollars avant d’être amené à les réduire) et le mercure (échec des opérations de l’Assimer en 1975).

Les pays producteurs n’ont guère été plus heureux lorsqu’il s’est agi de défendre leur pouvoir d’achat: que ce soit le refus de vente au-dessous d’un certain cours (Alliance des producteurs de cacao en 1964-1965, Côte-d’Ivoire pour le cacao en 1980) ou la réduction des productions ou des exportations (action du C.I.P.E.C. pour le marché du cuivre en 1975, de l’A.N.R.P.C. sur celui du caoutchouc en 1982), l’impact de ces mesures a été en général assez faible sur les marchés. Autrement efficace s’est révélée l’action directe de producteurs déterminés à manipuler les marchés à terme: le Groupe de Bogota pour le café en 1978/80, la Malaisie pour l’étain en 1982, ont, pour un temps, modifié les rapports de force et bien souvent incité les pays consommateurs à plus de souplesse dans les négociations internationales. À terme, on doit s’attendre à ce que les pays producteurs participent de plus en plus au fonctionnement même des marchés, et ceci comme opérateurs à part entière. Il apparaît en revanche que les perspectives d’action unilatérale des producteurs sur les marchés sont bien minces.

Il en est d’ailleurs de même pour les pays riches lorsque ceux-ci essaient d’utiliser «l’arme des matières premières». Malgré leur puissance sur le marché mondial des céréales et du soja, les États-Unis n’ont pu obtenir que peu de résultats tangibles de leurs embargos de 1973 (soja), 1975 et surtout 1980 (céréales à destination de l’U.R.S.S.). Cependant, un certain nombre de pays consommateurs, devant la menace éventuelle de contrôle de marché d’un produit stratégique par un pays hostile ou instable, ont constitué des stocks stratégiques de minerais et métaux (on pense surtout aux produits comme le platine, le vanadium, le cobalt, le chrome... dont la production est répartie entre l’Afrique australe et les pays socialistes). Après les États-Unis (dont le stock constitué après la guerre de Corée était estimé à 7,2 milliards de dollars et est un poids déterminant sur les marchés de produits comme l’étain ou l’argent-métal), la France (1979), le Japon (1982) et la Grande-Bretagne (1983) se sont dotés de stocks aux ambitions plus limitées.

Ainsi les marchés des produits de base apparaissent-ils plus que jamais, en ce début des années quatre-vingt, marqués par l’instabilité, par les conflits du Nord avec le Sud, du Nord avec l’Est... Jamais l’impasse des négociations internationales n’a été plus grande, le dialogue plus difficile. Le phénomène des marchés à terme apparaît relativement irréversible, et il est souhaitable que tous, producteurs comme consommateurs, en soient bien conscients et puissent les utiliser au mieux. Au-delà, on peut seulement souhaiter que les produits de base bénéficient d’un nouveau climat de coopération internationale et ne soient pas encore les oubliés d’un «second Bretton Woods».

Encyclopédie Universelle. 2012.

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